BACLOFENE
Le baclofène : une énigme et un scandale
Renaud de Beaurepaire
Un jour, forcément, quelqu’un écrira
l’histoire du baclofène. Avec, en toile de
fond, cette question, ou plutôt cette énigme
: pourquoi des médecins ont pendant si
longtemps regardé se dégrader et mourir
devant eux des malades atteints d’une
maladie, l’alcoolisme, alors qu’ils avaient à
portée de main un médicament qui la
guérissait ? Des médecins qui ont même refusé de le prescrire ! Une énigme et un
scandale, une honte pour la médecine. Le journaliste qui l’écrira sera sans pitié. Les
mauvais prétextes, discours mensongers, intérêts financiers et industriels, tous les
conflits d’intérêt, pressions exercées par certains organismes… il passera tout au crible.
Le livre qu’il tirera de son enquête s’appellera peut-être "Le scandale du baclofène".
Faut-il le rappeler ? En France, l’alcoolisme tue plus de
100 personnes par jour. Chaque jour, des centaines ou des
milliers de médecins regardent mourir lentement leurs
patients sans leur prescrire le médicament. Cent familles
sont chaque jour en deuil, cent familles susceptibles, plus
tard, de demander des comptes. N’en doutons pas,
certaines iront jusqu’à parler de "meurtre".
J’espère que le journaliste me demandera ce que j’en pense. J’en aurai des choses à lui
raconter ! Une phrase, par exemple, que j’ai si souvent entendue dans la bouche des
alcoologues, au point qu’elle est devenue pour moi une sorte d’oraison funèbre : "Je suis
contre", "Je suis contre le baclofène". Ah bon, vous êtes contre, mais pourquoi ? Et là,
pas d’argument ! Rien que des gens butés, incapables d’expliquer leur position. Des
médecins, pas mauvais sûrement, mais sous influence. Sous influence de quoi, de quels
messages, directives, peurs ou menaces ? Le journaliste s’en donnera à cœur joie.
Quelles influences ont pu être assez fortes pour que des médecins agissent ainsi, contre
l’intérêt de leurs malades, contre le serment d’Hippocrate ? Tiens, juste une anecdote,
pas grave, juste exemplaire : un de mes patients ne boit plus depuis plusieurs mois grâce
au baclofène. On lui avait retiré son permis pour conduite en état d’ivresse. Il va le
récupérer. Il ne boit plus, c’est évident, ses examens sont bons (gamma-GT, CDT). Il
passe la visite médicale et, là, le médecin voit qu’il est "sous baclofène". Que croyez-
vous qu’il fit ? Il lui refusa la restitution de son permis, avec cette "explication"›: "Je suis
contre le baclofène" !
Certains vont se lancer dans des explications emberlificotées : "Le baclofène est hors
AMM. Il a des effets indésirables. Il n’a pas subi l’épreuve des essais thérapeutiques..."
Je prends un air mécontent et martèle les points sur les "i". Que l’on ne prétexte pas que
le baclofène est hors AMM pour refuser de le prescrire. Les alcoologues prescrivent, hors
AMM, des quantités invraisemblables de benzodiazépines et antidépresseurs,
thymorégulateurs et autres antipsychotiques atypiques. Les effets indésirables ? Ils sont
archiconnus, bénins, et ce médicament est totalement dépourvu de toxicité. Bien sûr, on
a rapporté des tentatives de suicide au baclofène, avec des doses 30 fois que celle
maximale préconisée, et sans jamais avoir eu d’effet létal. Les effets indésirables sont
parfois gênants en début de traitement : il suffit, pour les faire disparaître, d’augmenter
les doses progressivement, par paliers plus ou moins longs.
Que l’on ne prétexte pas non plus que son efficacité n’a pas été démontrée dans des
études cliniques randomisées : les malades qui sont en train de mourir ne peuvent pas
attendre. Et si un médecin a un doute à ce propos, il lui suffit de le prescrire à quelques
malades, pour se forger une conviction. C’est facile, et sans aucun risque. C’est comme
ça que tous les prescripteurs de baclofène ont procédé, sans nécessairement y avoir cru
au début.
Ah, j’oubliais… les idiots, comme ce collègue m’assénant triomphant : "le baclofène,
ça ne marche pas !". Il était fou de joie. On aurait dit qu’il venait d’inventer le fil à couper
le beurre›! C’était un peu court… Je lui demande donc de m’en dire un peu plus. En
substance : il avait effectivement mis deux patients sous baclofène, mais ils n’étaient pas
exactement alcooliques, plutôt cocaïnomanes. Enfi n… ils buvaient tout de même un peu,
et, c’est vrai, ils n’avaient pas tellement envie d’arrêter l’alcool, ni la cocaïne d’ailleurs. Et
puis, pour être franc, ils n’avaient pas vraiment pris le baclofène, sauf deux ou trois jours
peut-être… parce que, comme ils l’ont dit, "ça ne leur faisait rien" ! Il est des vérités
thérapeutiques à rappeler qui concernent tous les traitements, en particulier celui-ci :
Pour que "ça marche", il faut qu’il soit conduit sérieusement, respecter le protocole,
porter une attention constante au patient. Il faut un engagement de soi. Des patients qui
veulent vraiment arrêter de boire, et des médecins qui veulent vraiment les y aider.
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